Les zappaïens l’attendaient comme le Graal, plus de quarante ans après sa captation le voici. Le film de trois concerts en 1973 au Roxy Theater, à Los Angeles. Zappa est toujours accompagné de son groupe, les Mothers of Invention dans une formation considérée comme peut-être la meilleure, avec Ruth Underwood aux percussions, Napoleon Murphy Brock au saxo et à la flûte, Chester Thompson et Ralph Humphrey aux batteries, les frères Fowler à la basse et au trombone. Un album live est prévu (ce sera Roxy & Elsewhere) mais pour l’occasion, Zappa prévoie aussi de filmer les trois soirées dans la perspective de sortir plus tard un film. Hélas, le projet ne verra jamais le jour faute d’argent mais aussi tant le montage avec les différents rushs s’avère être un putain de casse-tête.
Quarante plus tard, grâce à des fonds réunis par la Zappa Family Trust et à la volonté de ressusciter un moment clé de la geste zappaïenne, nous avons enfin droit à une immersion en HD et son 5.1 au spectacle total et virtuose que constituaient les concerts de Zappa à l’époque. Non qu’ils ne l’étaient pas avant ou après mais, lorsque l’on connaît un peu la disco du génial moustachu, même si les goûts et les couleurs peuvent différer, on reconnaît généralement une perfection particulière aux performances des années 70.
Du coup c’est avec une certaine fébrilité que j’ai inséré la galette dans mon lecteur. J’avais déjà vu plein de vidéos de concerts, mais toujours avec un sentiment d’inachevé, du fait de la brièveté des extraits, de la pauvreté de l’image (genre rips d’enregistrements TV sur des VHS) ou d’un son qui me plaisait moins (j’ai bazardé tous mes cd des concerts des années 80).
Après avoir appuyé sur la touche PLAY, je n’ai pas mis cinq minutes à entraver que ce concert…
Ça allait être le pied !
Que les connaisseurs du maître se rassurent : nulle déception ne viendra émailleur leur visionnage de Roxy : The Movie. C’était à craindre car l’exemple du Live at the Bowl des Doors, ressorti il y a deux ans en grande pompe, avait refroidi les ardeurs de plus d’un : images magnifiques, bonne performance musicale, mais qu’est-ce qu’on se faisait chier ! Qu’est-ce que c’était statique ! Ce que Morrison donnait l’impression de chanter avec un balai dans le cul ! Ici rien de tel. Certes les quatre mecs derrière les caméras ont un peu des moufles. Le focus est souvent foireux, les images un peu floues et les effets de zoom sentent l’amateurisme mais on s’en fout. Les caméras vont au plus près de la scène, se mêlent aux musiciens, sont mobiles, parfait pour restituer le dynamisme foutraque des concerts de Zappa. Ce qu’on perd en terme de qualité d’image, on le compense largement en terme de jouissance live. Il serait bien cliché de dire ici « c’est comme si vous y étiez » mais c’est vrai que du début à la fin on reçoit un déluge visuelle et auditif qui nous donne la sensation de ressentir les moindres détails. La complicité entre les musiciens d’abord :
Check la main au cul de Ruth Underwood pour évacuer le stress !
Evidemment leur haut niveau technique, la scène dégueule d’instruments et passer d’un instrument à un autre ne semblent pas vraiment leur poser de problèmes :
Un des moments de bravoure du concert, lorsque les trois percussionnistes jouent ensemble et se mettent à échanger d’instruments au cours du morceau.
Qui dit technicité, dit solo de guitare made in Zappa. On aura donc droit à de la pédale wah-wah (marque de fabrique de Zappa AVANT le maître Hendrix) et au prodigieux doigté de Frank :
Euh… le doigté se trouve à gauche, pas à droite.
Grande technique donc, mais cela sans jamais se départir d’une grande facilité, d’un naturel qui permet de rendre tout cela agréable et non pesant (impression que j’ai pu avoir dans des lives ultérieurs). Faire preuve de virtuosité tout en déconnant, échanger des coups d’œil complices, obéir aux fameux gestes de leur chef d’orchestre, se laisser maquiller en pleine performance :
… et bien sûr faire les clowns puisqu’être un musicien de Zappa suppose une implication totale et une restitution parfois gestuelle des délires textuels des chansons, tout cela achève de nous faire sentir la nature particulière des spectacles de zappa et nous fait comprendre pourquoi le public est assis plutôt que debout. On est quelque part entre le théâtre et le concert de rock, à la fois devant des musiciens et des acteurs et passer son temps à se dandiner serait sans doute un peu ridicule.
Ce qui ne veut pas dire non plus que l’on reste passif car, last but not least, le concert était attendu aussi pour les fameuses participation avec le public. Toujours rageant d’écouter un live de Zappa et de se dire « mais bordel ! Qu’est-ce qu’ils sont en train de faire sur scène ? ». D’autant plus frustrant que la pochette de Roxy & Elsewhere affichait une photo du concert qui vendait du rêve mais qu’il fallait se contenter d’imaginer ce qui pouvait se passer. On a donc enfin droit au Be Bop Tango. On peut voir à quoi ressemblent Carl, Rick et Jane mais aussi qui est cette Lana qui dit « je ferai tout ce que tu me demanderas de faire Frank », à quoi ressemble Brenda, une strip teaseuse professionnelle ou encore de voir la gueule de cette « cheap bubble machine » que découvre Frank, un peu déconfit :
Une bulle toutes les cinq secondes ! BWAHAHA !
Tout cela pour préparer 5 ultimes minutes de blues et de grand n’importenawak :
Pour reprendre la formule en titre de plusieurs double cd consacrés à des lives de Zappa, « you can’t do that on stage anymore ».
A ce moment, l’inconditionnel ne se dit pas non plus que ça valait le coup d’attendre 40 ans mais c’est presque ça. On a retrouvé la pièce du manquante du puzzle avec beaucoup de retard, certes, mais cette découverte n’en est finalement que plus jouissive. Et pour les béotiens qu’ils se disent ceci : si vous ne connaissez pas Zappa mais que vous aimez le blues, de rock, les solos de guitare, le sens du spectacle, la virtuosité, l’humour , les strings et de grand n’importe quoi, tentez Roxy : the Movie, peut-être la meilleure porte d’entrée pour explorer la galaxy Zappa.
9/10