10 juin 1988, stade de la Beaujoire, Nantes.
Le petit Olrik, alors âgé de 12 ans, accompagne son père au stade pour assister au concert des Pink Floyd. Il a été décidé d’un commun accord que le billet d’entrée (précieusement conservé) constituerait son cadeau d’anniversaire avec quelques semaines d’avance :
Tonight’s the Night
C’est la première fois qu’il assiste à un concert. Autant dire que pour une première fois, c’est direct le saut dans le grand bain. Celui d’une foule ahurissante, d’effets visuels sidérants et d’un son qui va donner à ses jeunes oreilles la sensation d’utiliser son corps comme caisse de résonance. La soirée est belle, pas d’intempéries à craindre. Au milieu du stade, un peu éloigné certes (durant la traditionnelle pause des concerts du Floyd, son papa fera néanmoins le forcing pour accéder aux places assises libres, assez nombreuses ce soir-là), mais heureux et impatient. Petit à petit l’obscurité se fait et commencent les premières mesures de Shine On You Crazy Diamond.
Je regarde et écoute déjà limite ahuri. Mais comme je jette un coup d’oeil à mon père et aux adultes à proximité, je m’aperçois que c’est pareil pour eux.
Et quand retentissent puis explosent les quatre fameuses notes :
…je suis pour ainsi dire marqué psychiquement au fer rouge par Pink Floyd. Je connaissais et aimais déjà ce groupe (sinon mon père ne m’aurait sans doute pas proposé d’aller au concert). Les vinyls de Wish You Were Here,, de Dark Side of the Moon et même d’Obscured by Clouds avaient déjà été maintes fois posés respectueusement sur la platine paternelle. Mais après ce concert, ça n’aurait plus rien à voir. Ce serait une sorte d’allégeance à vie. Pas non plus l’attitude aveugle du fan boy de base (pas d’intérêt particulier pour The Final Cut, The Division Bell ou Endless River) mais celle d’un inconditionnel qui connaîtrait parfaitement leur œuvre, l’aimerait et la réécouterait toujours avec plaisir et avec la conscience de ce qui a fait de ce groupe un des tout meilleurs en termes de créativité. Et au-delà de Pink Floyd, cette soirée allait constituer le début d’un goût certain pour le « Classic rock », pour ces groupes et ces artistes d’une autre époque mais qui continuaient parfois de créer. Plaisir particulier des années lycée durant lesquelles au U2 brandi par des amis je répondais dédaigneusement par le Velvet Underground et autre Zappa. Snobisme que je ne regrette pas. S’immerger dans des morceaux hors normes comme Sister Ray, the Gumbo variations ou Echoes avait de quoi sidérer les tympans et offrir la stimulation de se confronter à des univers sonores hors des sentiers battus.
Bref, tout cela pour dire que si c’est un peu sur le tard que j’entrepris la lecture de Pink Floyd : l’histoire selon Nick Mason, c’est aussi avec une curiosité aiguë. Au fil des ans, j’avais déjà lu pas mal de choses sur le Floyd, notamment des interviews des musiciens racontant leur perception de groupe. Je me souviens d’un entretien de Waters dans Best (ou Rock & Folk, je ne sais plus) où l’homme avait bien de la peine à surmonter sa rancœur vis à vis des autres membres (d’ailleurs il ne la surmontait pas du tout). Mais évidemment rien de comparable à l’entreprise de Nick Mason qui a décidé de se faire le chroniqueur du groupe en racontant du premier album au dernier (jusqu’à the Division Bell, Endless River étant paru l’année dernière) les hauts faits du groupe ainsi que ses déboires.
D’abord, un constat évident : le livre est plaisant à lire. Mason possède un flegme et un humour tout britannique rendant la lecture agréable. L’homme distille évidemment des anecdotes pour faire bonne mesure et donne parfois volontiers son avis. Il est donc à la fois biographe du groupe et autobiographe dans le sens où il n’hésite pas à se focaliser parfois sur lui-même, sur son évolution aussi bien en tant que musicien qu’en tant que personne. A la fin du livre, on a indéniablement une idée plus nette de l’homme Mason, le membre du groupe ayant pour particularité de ne pas être le plus créatif mais d’être le seul à avoir participé à l’histoire du groupe du début à la fin.
Deuxième constat : dans sa globalité, le livre est instructif. Même pour l’aficionados éclairé, on y apprend des choses. Dans mon esprit, Pink Floyd était synonyme de perfections scénique et musicale lorsqu’il s’agissait de faire un show. Amusant ici de voir ici combien cette perfection s’est constituée progressivement et après un certain nombre de ratages. Même chose pour la qualité d’interprétation, Mason avouant que l’envie de faire des tournées courtes a souvent débouché sur des performances moyennes voire médiocres.
Après, si l’on devait émettre des réserves, ce serait envers une sorte de prudence larvée qui ne rend pas le livre aussi passionnant qu’il aurait dû l’être. Il est vrai que le lire juste après le Led Zep de Barney Hoskins n’a pas aidé. Alors que ce dernier donnait à entendre les voix et les personnalités d’une multitude de protagonistes et donnait à ressentir, à vivre toute une époque chaotique, avec la plume de Mason et un groupe finalement sage tel que Pink Floyd, c’est évidemment tout de suite plus calme. Moins intense. Et c’est tout le problème car on se dit qu’il y avait moyen de rendre compte de manière plus complète l’Odyssée musicale des différents protagonistes, avec les moments d’intense créativité mais aussi d’affrontements entre des egos surdimensionnés.
Mason a tendance à résumer pudiquement, comme pour ne pas froisser ses camarades. Ou ne pas jouer la carte de la polémique ou du sensationnalisme. Il nous explique que Syd ne va plus bien du tout à la fin, mais n’entre pas trop dans les détails, se contentant de flegmatiques euphémismes pour évoquer les drogues. Il nous raconte que pour l’enregistrement de tel ou tel album il y a eu des tensions entre Waters, Gilmour et Wright, mais sans trop s’appesantir et surtout sans tenter de donner une idée précise de leurs personnalités. On le sent un peu plus pour Waters, mais pour Gilmour, l’homme apparaît assez vide et mystérieux.
On apprend à la fin que le livre a bénéficié d’une relecture et de correctifs de la part des autres membres. On se dit d’abord que c’est une bonne chose car le livre devient alors le fruit d’un travail collectif et qu’il devrait donner une idée encore plus juste de l’histoire du groupe. Mais finalement, c’est plutôt l’inverse qui se produit. On imagine volontiers les autres membres rectifier des choses qui étaient peut-être en leur défaveur et du coup on se retrouve avec une image pas non plus fade mais pas toujours très évocatrice, un peu trop lisse. Peut-être que Mason aurait mieux fait de ne pas refiler aux autres son manuscrit afin de garder une version moins consensuelle mais qui aurait pu faire réagir les autres en leur donnant envie de réagir en donnant leur version et du coup se rapprocher du passionnant kaleidoscope de The Beatles Anthology ou de Led Zep. L’Evangile Pink Floyd selon saint Nick a été mené à son terme. On croise les doigts donc pour qu’un jour Saint Roger et Saint David prennent la plume pour confronter leur histoire du groupe. De quoi ranimer peut-être les anciennes tensions mais peu importe. Définitivement enterré depuis le Live 8 de 2005 qui avait vu la réunion miraculeuse des quatre membres le temps d’une petite demi-heure, Pink Floyd ne réalisera plus jamais d’albums. Tant pis ou plutôt tant mieux. La légende Pink Floyd ne saurait supporter davantage d’opus tels que Endless River.