The Uninvited (La Falaise mystérieuse)
(Lewis Allen – 1944)
Alors qu’ils se trouvent en vacances dans les Cornouailles, un jeune compositeur, Roderick Fitzgerald, et sa sœur Pamela tombent en arrêt devant une superbe maison perchée sur une falaise. Tombée amoureuse de la demeure, Pamela convainc son frère de l’acheter. Bonne surprise, l’actuel propriétaire est prêt à la leur vendre pour une somme dérisoire alors que sa petite-fille, Stella, les a mystérieusement dissuadés de l’acheter.
Quelque temps plus tard, Roderick et sa sœur s’installent dans leur nouvelle maison mais très vite de curieux événements viennent détériorer l’atmosphère. D’abord le chien de Pamela qui refuse obstinément d’entrer dans la maison, ensuite une pièce à l’étage dont il se dégage une tristesse communicative, enfin les pleurs d’une femme en pleine nuit que le couple ne parvient pas à localiser…
Avant la Maison du Diable de Robert Wise ou l’hôtel Overlook dans Shining, il y a eu the Uninvited de Lewis Allen. Exploitant le thème du lieu hanté, le film apparaît maintenant certes bien moins angoissant que de prestigieux successeurs mais a le mérite de posséder une splendide photographie (que l’on doit à Charles Lang) qui en fait véritablement un petit joyau du cinéma fantastique. Il y a tout d’abord cette atmosphère gothique, tous ces chandeliers, ces vieilles pierres sculptées et ces escaliers en colimaçon toujours du meilleur effet lorsque vient la nuit et surtout lorsque cette dernière se contente d’un noir et blanc accentuant sur les murs les jeux d’ombres et des lumières. On arguera que tout cela est bien cliché et pourtant, pour un film de 1944, il faut reconnaître une belle maîtrise dans cette imagerie gothique pleine de charme.
Et puis, toujours pour rester dans la photographie, il y a ces tentatives – réussies – d’effets spéciaux. Ceux-ci apparaissent lors de deux scènes uniquement, le temps d’apercevoir un fantôme et sont la preuve qu’il ne suffit pas d’avoir un ordinateur pour créer des effets spéciaux qui résisteront au temps. Deux scènes, c’est peu, le film préférant jouer sur la suggestion, mais suffisant pour relancer l’attention du spectateur, même si celle-ci n’a pas vraiment le temps de faiblir tant l’intrigue et la galerie des personnages, tous excellemment interprétés, captive l’attention, le tout avec çà et là de petites pointes d’humour (on songe parfois un peu à Rebecca d’Hitchcock) toujours un peu risquées dans une histoire de tonalité fantastique mais que j’ai trouvées pour ma part discrètes et cohérentes par rapport au caractère enjoué de Roderick.
Ce qui est aussi plaisant, c’est de voir comment l’explication fantastique peut-être dépassée par une explication plus symbolique et freudienne, le personnage principale étant après tout non pas Roderick mais Stella, jolie jeune femme de vingt ans vivant encore chez un grand-père bien décidé de l’empêcher de vivre comme elle l’entend et surtout à l’inciter à se modeler sur sa défunte mère, femme que beaucoup décrive comme une mère sublime et raffinée. Sa surprenante demande auprès de Roderick pour ne pas acheter la maison constitue le début d’une longue enquête que mèneront les personnages, enquête pour faire surgir du passé une vérité familiale constituée d’adultère, de naissance illégitime, de tentative d’infanticide et d’une probable relation lesbienne. Nous n’en dirons pas plus, l’intrigue gardant pour la fin une surprenante révélation. Au milieu de ce cloaque familial, l’enjeu pour Stella de reconquérir son passé pour son reconquérir elle-même afin de mieux envisager l’avenir avec Roderick, lui aussi présenté au début de film comme arrivé à un carrefour de sa vie.
Pour résumer, The Uninvited est un de ces films qui se sont essayés au genre fantastique de manière sérieuse et convaincante. Pour accéder au statut de chef-d’œuvre il lui a peut-être une petite once de malsain, de grinçant ou de choquant. Mais nous sommes en 1944 et comme le film possède son lot de ladies et de gentlemen, difficile aussi d’en demander plus.
8/10