La troisième saison de Twin Peaks est prévue pour durer 18 épisodes.
Tous réalisés par David Lynch.
Je viens de voir le premier.
Et là, je me pose la question : dans quel état serai-je le 7 septembre lorsque je me serai enquillé les dix-sept autres ?
Entendons-nous bien : rien de sarcastique là dedans. C’est tout le contraire en fait. Déjà je lis ici et là des commentaires d’ânes bâtés qui prédisent le naufrage, le désastre, la bérézina pour Lynch et sa série phare. Pour moi, ce sera tout autre chose : la certitude d’avoir un spectacle qui va tout arracher sur son passage. L’audience sera sans doute ridicule par rapport à celle de Game of Thrones mais peu importe : les vrais sauront, eux, quelle va être ZE série de l’année 2017 et peut-être même de la décennie tant tout semble indiquer que nous allons avoir droit à un truc démentiel qui risque de faire encore plus fort que la première saison fondatrice.
Installez-vous confortablement, le show promet d’être redoutable !
Comme beaucoup, je craignais le pire avec le retour des personnages qui pouvait donner à la série un côté haras miteux empli de vieux bourrins sur le retour. Ainsi la scène avec Ben et Jerry, ou l’apparition de Lucy et Andy. Curieuse impression de voir des momies mimant pesamment ce qu’ils étaient autrefois. Après, il y a aussi de cette étrangeté de retrouver de vieux amis après 25 années. La familiarité a laissé la place à une curiosité pleine de réserve et il faudra sans doute attendre plusieurs épisodes pour retrouver un sentiment de complicité.
Les vieux du Muppet Show ? Non, Ben et Jerry !
En attendant, peu importe que le plaisir de les retrouver soit pour l’instant mitigé puisque le coup de génie de Lynch est de ne pas s’être contenté d’un ressassement de vieux fils narratifs avec des personnages connus. Mine de rien 25 années se sont déroulées entre-temps, années durant lesquelles Lynch a réalisé Lost Highway, Mulholland Drive, Inland Empire et clairement ça impacte sévère cette troisième saison. Finis la gaudriole, le soap, les mugs de café remplis à ras bord (encore qu’il soit question de café le temps de deux scènes…), les donuts et autres tartes à la myrtille. Finis aussi les airs jazzy de Badalamenti (ça viendra peut-être mais pour l’instant, niveau musique, noir c’est noir comme dirait l’autre). Finie la légèreté donc, même si on sent quelques bribes lorsque les vétérans de la série apparaissent. L’heure est essentiellement à la sobriété (très loin des excès de la saison 2), au minimalisme (on prend beaucoup son temps lors de certaines séquences) et à la noirceur (on part sur des bases raisonnables en termes de macchabées). Mention spéciale aux scènes avec « le cube de verre » dont l’étrangeté et la scénographie dépouillée m’a évoqué la première partie de Lost Highway.
Non, vous ne saurez pas à quoi ressemble le cube de verre. A la place je vous offre une photo d’une vieille connaissance.
Très intelligemment, Lynch a su éviter l’écueil de la saison qui se serait contenté d’un retour aux sources qui, en cherchant à retrouver les vieilles ficelles, aurait infailliblement été perçu comme un pesant retour en arrière. Avec toutes les séries géniales qu’il a pu y avoir durant vingt-cinq ans, il fallait trouver un ton sonnant comme du « jamais vu à la télé » et résolument moderne. Voir ce premier épisode m’a fait le même effet que lors de mon premier visionnage d’Inland Empire, film que j’aime finalement assez peu mais pour lequel j’ai toujours trouvé merveilleux qu’on ait pu débloquer des millions de dollars afin de le réaliser. Lynch, clairement, ne va pas chercher là non plus à donner la becquée au spectateur. Il va faire du Lynch, c’est-à-dire proposer un spectacle abscons, retors mais éminemment séduisant et marquant picturalement, à des années lumières du tout-venant des séries actuelles, quand bien même ce tout-venant proposerait des titres de qualité.
Enfin, impossible de ne pas succomber aux images, après l’horrible image digitale de la Sony DSR-PD150 utilisée pour Inland Empire. Cette fois-ci, place au HD de la Arri Alexa XT M et le résultat est somptueux. Après le format 4/3 des deux premières saison, le rendu HD 16/9 de la troisième accentue cette impression de vivre une expérience nouvelle, loin d’un éventuel radotage. Pour l’instant je découvre le savoir faire de Lynch onze ans après Inland, et je dois dire que l’homme ne me paraît pas le moins du monde rouillé. Au contraire, les plans, les compositions me semblent toujours aussi maîtrisés, capable de donner au moindre objet présent à l’arrière-plan une présence menaçante, aspect qui était moins sensible lors des premières saisons.
Une image léchée comme on les aime.
Bref, ce premier épisode a donc été une grosse claque. Outre de donner envie de boire un café latte, il donne surtout envie d’enchaîner très vite les autres épisodes. On ne sait pas trop où l’on va, mais si Lynch arrive à décliner ce programme sur les 17 épisodes restants, on tiendra là la série la plus novatrice de ces dernières années, rappelant définitivement aux Matthew Weiner, David Simon, David Chase et autres Vince Gilligan et Noah Hawley qui est le Dieu de la série américaine.
Impressionnant 🙂
J’aimeJ’aime
Indeed.
Par contre pas sûr que ça soit pour toi Gal’. C’est que ça tue quand même un peu la gueule. 😉
J’aimeJ’aime
Presque complètement d’accord avec toi Olrik… J’ai visionné ce premier épisode scotchée à mon écran plus qu’à mon canapé, dans la nuit tardive, à la fois retrouvant la fascinante tension des films de Lynch et tendue vers la charmante bourgade conifère… « est-ce le futur ou le passé? »
J’aimeJ’aime
« Presque complètement » seulement ? Va falloir expliquer cela demain.
J’aimeJ’aime
Chouette article.
Ce premier épisode m’avait laissé un peu dubitatif.
Du très bon Lynch, mais en même temps, je n’avais pas l’impression de regarder Twin Peaks, juste un nouveau film de Lynch.
En fait, d’épisode en épisode (j’ai vu les quatre premiers), je commence à voir où il veut en venir, et ouais, j’adore, j’ai attaché mes ceintures et suis prêt pour ce voyage qui ne va pas être de tout repos.
J’aimeJ’aime
« Du très bon Lynch, mais en même temps, je n’avais pas l’impression de regarder Twin Peaks, juste un nouveau film de Lynch. »
C’est justement ça qui fait que cette saison va être intéressante. Je pense que si ça avait été juste quelques épisodes de Twin Peaks de plus, cela m’aurait vite lassé.
J’aimeJ’aime
Oui, je comprends.
Disons que c’est une situation très difficile et hautement casse gueule (voir le revival des X-Files).
Soit il fait la même chose et ça sent le réchauffé.
Soit il fait complètement différent et ça n’a plus l’air d’être Twin Peaks.
Je pense en fait que j’aimerais que les anciens personnages aient plus d’importance, mais qu’ils partent dans des directions nouvelles, ou quelque chose du genre.
Après il y a aussi le travail sur les genres. Dans les années 80 les séries TV qui dominaient le paysage télévisuel c’était les gros soaps comme Dallas et Dynasty, et Twin Peaks c’était ça : « David Lynch fait un soap ».
25 ans plus tard, les soaps ont presque disparus à l’exception de ceux de l’après-midi, immortels (Feux de l’Amour, etc). Ils ont été remplacés par toutes les séries d’aujourd’hui, pleines de mystères à la Lost, d’enquêtes policières à la NCIS, etc.
Et donc Twin Peaks devient Lynch faisant « une série d’aujourd’hui ».
Le truc intéressant c’est que les séries d’aujourd’hui seraient totalement différentes s’il n’y avait pas eu Twin Peaks.
J’aimeJ’aime
« Je pense en fait que j’aimerais que les anciens personnages aient plus d’importance, mais qu’ils partent dans des directions nouvelles, ou quelque chose du genre. »
J’imagine que ça va tout de même arriver. Pour l’instant, tant que Cooper n’a pas rejoint la base, les personnages risquent d’être en retrait.
Et oui,refaire du soap aujourd’hui aurait bien moins fonctionné pour la raison que tu donnes.
J’aimeJ’aime
Complètement d’accord, ça ne peux pas ressembler à la série d’il y a 25 ans pour cette simple raison, ça n’aurait plus de sens de faire un soap.
(au risque de me faire flinguer, je crois que Twin Peaks a même influencé AB Production. Si si. Shelly et Bobby au Diners, en parallèle avec Norma/Hank, la musique fifties, le couple de neuneu charmant Andy/Lucy… je rêve d’un article des Sitcomologues là-dessus).
J’aimeJ’aime
« Twin Peaks a même influencé AB Production »
Ça expliquerait pourquoi leurs sitcoms tuaient la gueule (à leur manière). Tiens ! un truc à faire : récupérer la vidéo :
Et faire un habile remontage en mixant la musique de Badalamenti. Ça pourrait être bigrement flippant !
J’aimeJ’aime
J’ai finalement commencé le retour de Twin Peaks. Je voulais me le mettre de côté pour binge-watcher, mais au rythme où ça va, c’est pas possible. Du coup j’ai céder. Faut dire que j’ai vu l’original il y a un an seulement. 27 ans concentré en un. Je reste à l’abri de tout spoil et de out commentaire, le bruit de fond de l’internet et de la critique m’indiffère totalement, mais y toucher deux mot à cette annexe de la fameuse buvette… Ah, j’imagine les cris d’orfraies à droite à gauche, dans cette période où il faut tout commenter immédiatement, juger à coup de tweet et faire des petites phrases. Infernal.
Pour moi le plaisir est double. Retrouver les perso de la série originale évidemment, voir leurs gueules après tout ce temps. Immédiatement, sentiment de drôlerie de revoir Lucy et Andy, aux même endroits, avec les mêmes attitudes. On le sait, Twin Peaks est un espace où il ne se pase rien (sinon l’épisode Laura/Ronette). Quoi de plus normal que de les retrouver ainsi. Les vieux frêres Horn, ah ah ! Audrey ! Je veux voir Audrey !!! Jacoby qui enlève ses grosses lunettes dévoilant en dessous les fameux verres bicolores l’identifiant immédiatement. La femme à la buche (je pensais qu’elle était décédé avant le tournage)… Twin Peaks est l’empire du signe, et y en a à gogo.
Je vais pas entrer dans le détail (ah, le méchant Coop dans cette glauqasse cabane dans les bois). Sinon que déjà j’adore l’idée que tout ne se passe pas à Twin Peaks. New York ? Une séquence qui renvoie en effet plus à Lost Highway/Inland Empire, fascinante. Le Dakota où l’enquète en cours dans un complexe d’appartement m’évoque Mulholland Drive, jusqu’à l’humour débile avec la grosse voisine bavarde et oublieuse. Le truc dégueux dans le coffre de la bagnole, l’oreille dans l’herbe bien sùr. Mais sans que ça fasse recyclage de vieux trucs. Non, c’est du signe.
Et là je me dis que Twin Peaks, ça peut s’appeler comme ça veut bien s’appeler, mais surtout, ça fait quoi, dix ans que Lynch n’avait plus rien fait (à part ses albums sympas et autrex expos de peintures). Il ne referra plus de cinéma, sans doute. Et puis là, cet été, on a avoir droit à 18 films de 55 minutes. Au final, peut-être que ça sera une grande synthèse de son oeuvre, peut-être le truc le plus génial qu’il fera. Ou simplement une nouvelle pierre à l’édifice, avec la régalade du feuilleton et la retrouvaille avec un de ses univers les plus passionnants. Slurp !
Ah oui, l’énorme différence qui saute aux yeux, enfin aux oreilles, c’est bien sûr la quasi absence de musique, pour l’instant en tout cas. Inland Empire est passé par là.
(quand même cinq minutes de Lynch mettent sérieusement à plat les giga-octets de tous les tacherons qui tentent de l’imiter depuis 15 ans. Oui, je pense à toi Winding-Refn, grosse buse tapineur de fastoche)
J’aimeJ’aime
Binge watcher Twin Peaks, c’est quand même super chaud, à moins de vouloir devenir aussi cinglé qu’un des personnages de la série ! Et puis à la fin d’un épisode, avec le générique qui défile sur la scène de bang bang Bar, il est bon de laisser la magie opérer et d’aller se pieuter des images plein la tête.
Un peu comme toi, ma découverte de Twin Peaks est relativement récente. Il y a 25 ans, j’avais vu quelques épisodes sur la 5 et puis j’ai dû voir la première saison lors de mes années de fac. Mais c’est vraiment il y a quelques mois, en sachant que la troisième saison se profilait à l’horizon, que j’ai remis les compteurs à zéro et que j’ai entrepris de tout voir, deux premières saisons + Fire walks with me. Là, j’envisage de me mater les « missing pieces » du coffret blu ray histoire de mieux apprécier d’éventuels détails. Bref l’année 2017 est lynchienne en diable (je me suis rematé il y a quelques semaines Blue Velvet, Lost Highway, Mulholland et Inland) et ouais, d’accord avec toi pour dire que le père Lynch a sérieusement remis les armoires à leur place (comme dirait Johnny).
J’aimeJ’aime
Pingback: TWIN PEAKS III / VISIONS CROISÉES : ÉPISODE 9 – LES BELLES PHRASES