Avant de visionner l’ultime épisode de cette troisième saison s’est posée la question de savoir si la fin allait être aussi déconcertante que celle de la précédente saison. Question pour la forme à vrai dire, car après un dix-septième épisode qui pouvait être vu comme une fin plausible à la série, si d’un côté on ne voyait pas trop comment Lynch pouvait relancer la machine, avec une Laura Palmer a priori définitivement perdue dans un destin tragique, coincée entre un père habité par Bob et une mère encore plus maléfique, on se doutait de l’autre que ce final pouvait être l’occasion pour Lynch de livrer de rebattre entièrement les cartes afin de surprendre une ultime fois le spectateur pour clore en beauté une saison qui n’aura pas ménagé ses efforts pour toujours nous prendre à contre-pied.
Bref, comment rebondir après l’épisode 17 ? Si Laura semblait définitivement perdue, il ne fallait pas oublier (d’un autre côté, comment l’oublier ?) Dale Cooper, personnage multi-zones aux différents avatars et capable de passer à différentes strates, qu’elles soient temporelles, réelles ou rêvées. Après la scène d’adieu à ses amis de Twin Peaks et la révélation d’une réalité qui n’était qu’un rêve, il restait tout de même à savoir si Lynch allait terminer la saison sur le ton de l’expérimentation arty de l’épisode 8. En fait, d’une certaine manière il n’y a pas plus éloigné tant cet épisode joue la carte de l’épure. Comparés à la première saison, les dix-sept premiers épisodes de la saison 3 jouaient déjà pas mal la lenteur, plus d’une fois l’intrigue nous donnant impression de progresser à une allure de colimaçon, nous demandant comment Lynch allait parvenir à boucler son histoire. Le dernier épisode va encore plus loin dans cette impression, donnant au spectateur d’être lui aussi coincé dans cette voiture que conduit Dale, en compagnie de Diane, le long d’une interminable route.
Retrouvant Diane, Cooper part alors avec elle sur cette route et s’arrête au 430ème mile. Pourquoi ce chiffre ? Il faut ici se souvenir des conseils que le Fireman lui a donné au tout premier épisode, lui demandant de se souvenir de ce chiffre ainsi que de « Richard et Linda ». Or, alors qu’ils se sont arrêtés pile au 430ème mile de cette route (endroit entouré d’énormes pylônes électriques, j’avais évoqué lors d’un épisode l’insistance sur l’électricité, chose qui par la suite a été explicitement soulignée par Mike) et qu’ils repartent à faible allure, les deux personnages se trouvent propulsés à un autre endroit, à une autre époque, avec d’autres identités. Les voilà maintenant devenus Richard et Linda. Savoir s’il s’agit de la véritable identité de Cooper, celle qui a rêvé tout ce qui a précédé, est impossible à dire. Ce qui est sûr, c’est que l’on se trouve face à une nouvelle facette du personnage interprété par McLachlan. Après Dale Cooper, Mr C. et Dougie Jones, voici donc Richard, sorte d’amalgame des trois précédents personnages : il y a les réflexes et l’assurance de Dale, la voix d’Evil Coop et par moment on jurerait voir se mouvoir Dougie, ce qui pourrait amener à penser qu’effectivement, tout ce qui a précédé n’était que des rêves illustrant les facettes de la personnalité de ce Richard.
Capacités sexuelles de Dougie + réflexes de Dale Cooper = Richard
Quoi qu’il en soit, ce Richard interprète les signes de son quotidien en fonction de ce qu’il a vécu/rêvé. Quand il découvre un restaurant nommé « Judy » et qu’une serveuse y travaille sous le nom de Carie Page, cela titille son subconscient et l’incite à rencontrer ladite serveuse à son domicile. Quand il la verra, bingo ! il s’apercevra qu’elle ressemble trait pour trait à Laura Palmer. Il ne s’agira alors pas de la sauver mais de comprendre pourquoi elle est devenue Carrie. Retournant à Twin Peaks en sa compagnie (entre-temps Diane/Linda l’a quitté), il toque à la porte de ce qui « a été » sa maison (entre guillemets car la perte de repères temporels est alors totale). Il tombe sur une certaine Alice Tremond qui lui dit qu’elle a autrefois acheté la maison à une certain Madame Chalfont. Nulle mention de la famille Palmer.
Déconcerté, Richard réfléchit, demande à Carrie « quelle année sommes-nous ? », avant que cette dernière ne regarde la maison, entende quelqu’un crier « Laura ! Laura ! » puis se mette à pousser un de ces hurlements qui est un peu sa marque de fabrique. Ecran noir puis vision bien connue de Laura chuchotant des mots à l’oreille de Cooper.
On ne saura rien d’autre, ce sera au spectateur d’interpréter, d’échaffauder des théories, de replonger ad nauseam dans les précédentes saisons (notamment pour voir les épisodes où apparaissent Miss Chalfont, j’avoue être assez curieux) afin de prolonger un voyage qui, comme celui de Richard/Cooper/Doogie/Mr C., promet d’être une longue errance à la fois enrichissante… et toujours déceptive. C’est le lot des personnages de l’univers de Lynch, qui à l’exception peut-être d’Alvin dans une Histoire Vraie, sont voués à se perdre entre le réel et leur psyché.
Après, entre la richesse symbolique et l’éventuelle déception, subsiste toujours un trait d’union aussi solide que l’anneau de la Black Lodge et qui permet de transformer le sentiment d’incomplétude en une chose infiniment plus réjouissante. Ce trait d’union, c’est l’Art, du genre qui s’assume pleinement, loin des modes et profondément chevillé au délire créatif d’un homme qui, à 71 ans, a récemment évoqué la possibilité d’une quatrième saison (!). De quoi espérer un énième avatar de Dale et de nouvelles aventures toujours plus surréalistes, ponctuées de tartes à la myrtille, de nains diaboliques et de symboles cryptiques.
Le cri de Sherryl Lee (retravaillé en studio par Lynch, n’en doutons pas), est un des trucs les plus terrifiants que j’ai jamais vu (enfin entendu). Autant dire que j’étais vraiment pas à l’aise devant les « retrouvailles » de « Coop » et « Laura »… Ce sentiment de réalité en suspens. Personne n’a rendu la réalité du rêve comme Lynch. Cette fin éclair…. Ben c’était beau, très beau même.
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