Ça y est enfin, la mue s’est opérée. Laquelle ? Celle de Jimmy McGilll en Saul Goodman. C’était lors de l’ultime scène de l’ultime épisode de la quatrième saison. Cela dure deux secondes, le temps à Jimmy de se tourner vers une Kim interloquée d’apprendre que Jimmy ne reprendra pas le nom prestigieux de McGill pour son retour au barreau. À son « Jimmy, what ? », son ami/amant se retourne vers elle tout sourire et lui lance « it’s all good man ! », la laissant derrière elle comme deux ronds de flan.
Autant dire que c’est la scène clé d’une saison qui, si elle a su rester plaisante à suivre en maintenant d’évidentes qualités d’écriture, m’a semblé un cran en-dessous de la précédente, la disparition de Chuck, frère de Jimmy et redoutable adversaire pour ce dernier, n’étant pas étrangère à cette impression. Reste la fascination de voir une série se rapprocher peu à peu de la première saison d’une autre série dont elle constitue le spin-off. J’ai été surpris de lire çà et là des commentaires de spectateurs trouvant incongru le nombre de scènes dévolues au personnage de Mike (et par extension, de Gus). Loin d’être gratuites, ces scènes permettent au contraire de constituer et de consolider le triangle infernal dans lequel vont plonger Walter White et Jessie Pinkman dans Breaking Bad.
A la manière des l’équipe allemande employée par Gus et supervisée par Mike afin de construire ce que va devenir un labo secret de méthamphétamines, il y a encore des coups de pioches et des tours de vis à donner dans le déroulement du scénario. Et c’est sans doute ce qui ne va pas manquer de rendre la dernière saison palpitante. Les trois personnage, chacun à leur manière, ont achevé leur transformation et sont maintenant des hommes de fer. Gus est cependant l’exception puisque des trois, il est le plus immuable, celui qui dès le départ était un monstre froid, un salopard fini. Je gage que l’on franchira un pallier dans ce registre dans la saison cinq. Mais l’évolution était plus incertaine concernant Mike. Dans son amitié naissante avec Werner Ziegler, l’ingénieur/contremaître allemand, Mike laissait percer cette humanité qu’il montrait de temps à autre depuis le début de la série. Avec la conclusion de cette amitié, conclusion terrible, plus de doute possible : Mike a été contaminé par la froideur de Gus. Autrefois homme à tout faire privilégiant l’intelligence et son charisme dissuasif, le voilà maintenant avec la casquette de tueur, dernière étape pour consolider encore plus sa stature de dur à cuire.
Quant à Jimmy, on peut se gausser de tous ceux qui trouvaient le personnages plus sympa, moins pourri que Walter White. Dans cet épisode brillamment introduit par un flash-back nous montrant une scène de touchante complicité entre Chuck et Jimmy, on voit donc à la fin comment ce dernier renie tout concernant son passé en tant que frère. A la différence d’un White pour lequel la famille, malgré ses errements égoïstes, est resté un élément important de sa personnalité, Jimmy, débarrassé de cet élément, est devenu un monstre bien plus froid que White. Monstre au visage débonnaire, celui de Saul Goodman, mais monstre tout de même. C’est sans doute ce que comprend Kim lors de cette dernière scène. La brillante avocate a du reste elle aussi opéré une métamorphose. Comme vidée, épuisée par un quotidien partagé avec un ouragan nommé Jimmy, elle semble être devenue une dame de fer uniquement vouée à son travail, et capable de faire preuve d’un esprit retors, pour ne pas dire magouilleur, faisant penser à Jimmy. Mais dans l’endurcissement, elle ne va pas aussi loin que Jimmy. La carapace s’est fissurée lors de leur altercation sur le parking dans l’avant-dernier épisode, et que son ami/amant (qui ne va plus l’être longtemps, n’en doutons pas) aille jusqu’à enterrer sans vergogne ses racines en ne reprenant pas son nom de famille doit l’amener à ouvrir les yeux sur ce qu’est Jimmy et à se poser des questions sur la nature de sa propre relation avec lui. Finalement, n’a-t-elle pas non plus été manipulée ? S’il ne faisait aucun doute de la sincérité de l’intérêt et de l’amitié de Jimmy pour elle, surtout lorsqu’elle traversait de mauvaises passes, on en vient tout de même à se demander pourquoi il est resté si longtemps avec elle, surtout lorsqu’on a en tête la brillante introduction d’un épisode qui nous montrait le quotidien tout sauf amoureux du duo. Kim n’étant pas un personnage qui apparaîtra dans Breaking Bad, on peut parier sur une rupture fracassante lors de la dernière saison.
Bref, après un bon travail d’écriture voué à donner plus de consistance au trio Jimmy/Gus/Mike, on ne peut qu’être impatient à l’idée de connaître la conclusion de ce spin-off… mais aussi d’entamer par la suite un nouveau visionnage de Breaking Bad, pour le plaisir de retrouver Walter White, mais aussi de retrouver ces vieux salopards de Jimmy, Gus et Mike, dont on connaîtra mieux le pedigree, connaissance qui accentuera sans nul doute le revisionnage de cette série géniale.